Autant mes ancêtres directs et les collatéraux proches semblent s’être bien tenus au fil des siècles, avoir globalement respecté les lois et les usages, autant plusieurs collatéraux éloignés ont eu affaire à la justice, et pas seulement pour des broutilles. Après Jeanne DEGENNE, la malheureuse mère infanticide que j’ai déjà évoquée ici, voici Antoine Jean DEGENNE, condamné aux travaux forcés. Et autant j’avais pu retracer le lien qui unit Jeanne à « mes » DEGENNE, autant pour Antoine Jean, c’est nettement plus compliqué. Il fait partie de cette galaxie DEGENNE qui gravite autour d’Availles-en-Châtellerault, de Monthoiron, de Lésigny et autres villages proches dont il faudrait reconstituer les relations.
Antoine Jean DEGENNE est né à Mairé le 3 novembre 1839. Mairé (Méré sur les actes plus anciens) est une petite bourgade poitevine située à l’est de Châtellerault, au bord de la Creuse qu’il suffit de traverser pour se retrouver en Indre-et-Loire.
Il est le troisième enfant d’Antoine DEGENNE et de Marie MAUDUIT, et l’aîné des trois garçons qu’ils auront. Antoine DEGENNE, le père, est jardinier. Il est né à Asnières (une paroisse de Monthoiron) en 1812. Marie MAUDUIT est originaire d’Yzeures-sur-Creuse, pas bien loin, mais en Indre-et-Loire, où elle est née en 1808. Ils se sont mariés en 1835 à Lésigny, bourg voisin de Mairé.
Les deux premiers enfants du couple sont Marie Antoinette, née en 1837 à Lésigny, et Louise Florence, née en 1838 à Mairé. J’ai trouvé le décès de Marie Antoinette, en 1905, à Bourgueil (37), célibataire, et je me suis dit que c’était une drôle de coïncidence puisque c’est là, au milieu des vignobles, que mes parents se sont installés en 1965 pour y passer 50 ans de leur vie… J’ai regardé sur les Tables de succession et absences pour voir qui héritait de ses biens, mais je n’y ai trouvé qu’un certificat d’indigence.
Quant à Louise Florence, je n’ai rien trouvé d’autre que sa naissance. C’est toujours très frustrant, j’ai plusieurs autres cas de ce genre : une naissance et puis… plus rien ! J’avais bien trouvé une Louise DEGENNE en 1872, sur les recensements de Tours, mais vérification faite, ce n’était pas la mienne…
Après ces deux filles, c’est Antoine Jean, sur lequel je reviendrai.
Sa naissance est suivie de celle de Stanislas, en 1844, à Lésigny. Il est fort possible qu’un autre enfant soit né entre les deux, entre 1839 et 1844, mais les parents ont pas mal bougé et j’ai peut-être manqué une étape. Stanislas était passementier, et j’ai eu la surprise de trouver son mariage à Bordeaux, en 1874, avec Marie PISTRE, née en Dordogne. Je les ai retrouvés ensuite à Tours où ils sont décédés tous les deux, Marie en 1909 et Stanislas en 1911. Ils habitaient rue Constantine, près de la fac de Lettres où j’ai fait mes études. Je ne leur ai pas trouvé d’enfants.
Une petite Flavie est née ensuite, à Lésigny, en 1846, mais elle n’a vécu que 15 mois.
Après elle sont nés Constance Françoise, en 1848, toujours à Lésigny, et Louis en 1849, mais à Tours.
Constance Françoise était lingère. Elle a épousé Alfred Louis Théophile CLÉMENCEAU en 1871, un passementier qui était aussi cordonnier. Ils ont eu une fille, Léontine Marie Constance, très vite orpheline puisque son père est décédé en 1874. Constance ne s’est pas remariée. Elle est décédée en 1917, à Tours. Elle a dû rester proche de son frère Stanislas puisqu’il était présent au mariage de Léontine, le 11 juillet 1896 à Tours, avec un dénommé Henri MILLARDET qui sera emprisonné une semaine, en 1903, pour dettes. C’est aussi Stanislas qui avait déclaré le décès de Marie MAUDUIT, le 4 mars 1887. Je le vois un peu comme le pilier ou la colonne vertébrale de cette famille.
Le petit dernier de la fratrie, Louis, est dit menuisier, mais il ne semble pas avoir eu une vie de labeur. Il a été condamné au moins deux fois par le tribunal de Tours. La première le 29 janvier 1892 pour « mendicité en réunion » à huit jours de prison. La seconde un mois plus tard, le 27 février, toujours pour mendicité, à 24 heures de prison. Il est mort en 1905 à Tours, a priori célibataire.
Je ne sais pas grand-chose sur la vie des parents sinon qu’Antoine DEGENNE, le père jardinier, semblait changer d’employeur assez fréquemment. Marie, la mère était « sans profession » sur les actes de naissance de ses enfants, et puis sur un acte de mariage, elle est aide de cuisine et sur un autre, un peu plus tardif, cuisinière. Elle a été veuve assez tôt puisqu’Antoine DEGENNE est décédé en 1858 à Tours, quelques mois avant la condamnation aux travaux forcés de son fils, mais à peu près à l’époque où se sont déroulés les faits. J’y vois un lien, Antoine n’avait que 45 ans.
Marie MAUDUIT a donc dû se débrouiller pour élever ses enfants, apprendre un métier et tout simplement survivre. Pourquoi toute la famille est-elle partie à Tours en 1848/49 ? Je n’en sais absolument rien. Peut-être tout bonnement parce que les possibilités de trouver un emploi étaient plus nombreuses.
Venons-en maintenant à Antoine Jean, le « nuisible » de la fratrie, né le 3 novembre 1839 à Mairé. Il vivait vraisemblablement à Tours avec sa famille au moment de sa condamnation. Il a été écroué le 27 septembre 1858 à la prison de Tours et condamné aux travaux forcés le 3 décembre de la même année par la cour d’assises d’Indre-et-Loire. J’ai trouvé les causes des condamnations aux travaux forcés de l’époque, ce sont :
- 1er, 2e crime,
- Contrefaçon de la monnaie publique française et étrangère
- Faux en écriture de l’administration publique ou contre des privés
- Crime de viol sur un enfant de – 15 ans
- Séquestration de plus d’un mois d’une personne
- Banqueroute frauduleuse
- Pillage de marchandises
- Libertinage
- Non-paiement des impôts
- Braconnage
- La religion protestante
J’aurais préféré apprendre qu’il avait été braconnier, libertin, faussaire, protestant, tout ce qu’on veut, mais pas violeur. Malheureusement, on ne choisit pas et dans son cas, c’était « viol et tentative de viol » puis quelque temps après, « attentat à la pudeur », le tout sur sa petite sœur, donc Constance Françoise, âgée de 10 ans. Sordide.
Le dossier des assises se trouve aux AD 37, j’avais prévu de le demander ou d’aller le consulter sur place, mais je ne suis pas sûre d’avoir envie de me plonger dans son contenu…
Antoine Jean DEGENNE a été condamné à 20 ans de travaux forcés. Il est arrivé au bagne de Toulon le 12 février 1859. Je lis sur sa fiche qu’il a été « détaché de la chaîne le 25 août 1860 » et qu’il a embarqué pour la Guyane sur l’Amazone le même jour.
Sur la page Wikipédia dédiée au bagne de Cayenne il est dit que, « sur 17 000 hommes envoyés à Cayenne entre 1854 et 1867, il n’y a que 7 000 survivants ». Inutile de préciser que les conditions de vie étaient plus que difficiles.
La fiche d’Antoine Jean indique également, en regard de la rubrique « Profession ou métier appris pendant la détention au bagne », la mention « Fatigant ». Ignorant ce que cette mention pouvait bien signifier, je me suis tournée vers une page Wikipédia consacrée au bagne de Toulon où j’ai trouvé l’explication de ce « fatigant » : « Les forçats travaillaient sur des tâches différentes. Le travail était divisé entre Grande Fatigue et Petite Fatigue. La Grande Fatigue correspondait au travail sur le port de commerce, dans l’arsenal, à la corderie, aux fourgons, dans les ateliers de serrurerie ou les carrières. Une lettre sur la casaque indiquait le lieu de travail. Un forçat de bonne conduite pouvait travailler à la Petite Fatigue soit : dans l’hôpital, dans la cuisine ou, s’il s’avait lire, dans quelques bureaux du bagne. » Antoine Jean était illettré, je doute donc qu’il ait pu travailler dans un bureau. Pour le reste, tout est possible et j’imagine que les bagnards qui arrivaient commençaient par la Grande Fatigue, qui devait bien porter son nom…
Il ne faut pas oublier le climat pénible de la Guyane et ses effets sur la santé. J’ai trouvé sur un site Internet plusieurs mentions d’épidémie, notamment une épidémie de paludisme en 1860, à l’époque où il est arrivé en Guyane, soit deux ans après l’inauguration du camp de Saint-Laurent où je suppose qu’il a passé toute sa peine.
La fiche consultée sur le site des ANOM m’apprend qu’il est décédé le 6 août 1866 à Saint-Laurent (du Maroni), il avait donc 26 ans. J’ai lu sur un site concernant la Guyane qu’il n’était pas possible d’enterrer tous les bagnards, faute de place, et que les corps étaient jetés à la mer, pour le plus grand bonheur des requins. J’ignore si c’est vrai, mais c’est plausible.
Une petite fille violentée, une vie fichue, une famille brisée, bref un terrible gâchis qui a dû laisser des traces.
Sources :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bagne_de_Cayenne
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bagne_de_Toulon
Pour celles et ceux que ça intéresse, il existe un témoignage moins connu que celui du célèbre « Papillon ». Il s’agit des mémoires d’un anarchiste, Clément Duval, qui a réussi à s’évader et a fini sa vie à New York. J’ai eu la chance de trouver cet ouvrage, parfois un peu décousu, mais qui constitue une mine d’informations sur le bagne, les brimades, les tentatives d’évasion, etc. Le titre est « Moi, Clément Duval, bagnard et anarchiste », présenté par Marianne ENCKELL, spécialiste du mouvement anarchiste.